Entretien avec Monique de Marco, sénatrice de Gironde

Par Samuel Freudenthal, L2 droit franco-allemand

Monique de Marco, sénatrice de Gironde

Monique de Marco est une figure de l’écologie politique, qui défend depuis des décennies les causes environnementales et sociales. Elle est aujourd’hui conseillère municipale d’opposition à Talence et Vice-Présidente de la Commission de la Culture, de la Communication, de l’Éducation et du Sport au Sénat. Nous reviendrons dans cet entretien sur ses engagements, ses études à Bordeaux, le séquençage de sa vie politique, ses projets, ou encore sa vision de l’actualité.

Comment vous êtes-vous engagée en politique ?

En réalité, j’ai toujours été engagée du point de vue associatif. Quand j’étais lycéenne, c’était la période du camp militaire du Larzac, puis les comités anti-nucléaire… c’est là que ça a débuté. Ensuite, je suis passée de l’associatif au combat politique en adhérant aux Verts, il y a maintenant un peu plus de 30 ans. Ce fut un moment de bascule. Originaire de l’Aveyron, j’ai étudié à Bordeaux, avant de déménager à Talence. J’avais des enfants alors en bas âge. Je me suis intéressée à la vie locale, qui est restée le fondement de mon engagement politique. J’ai eu des problèmes de garde, j’ai trouvé qu’il y avait des choses complètement aberrantes, et j’ai donc commencé à créer une association locale, qui s’appelait « Vivre Talence ». À partir de là, je fus repérée par Noël Mamère qui m’a proposé la suppléance aux élections législatives partielles de 1994. En 1995, j’ai monté une liste municipale, et petit à petit, j’ai pris des responsabilités localement, au niveau départemental et régional. Depuis 2001, je suis conseillère municipale d’opposition. Je n’ai pas réussi à gagner la mairie. Vers 2004, j’ai été conseillère régionale, puis j’ai mené la liste en 2010.

Vous avez étudié aux universités de Bordeaux, quel souvenir en gardez-vous ?


Quand j’étais étudiante, j’ai été mobilisée dans la lutte contre l’extrême droite qui connaissait déjà des poussées à l’époque. J’ai d’abord fait l’IUT, puis l’ISIC [Institut des sciences de l’information et de la communication]. J’ai après étudié l’anthropologie et l’ethnologie à Bordeaux II. J’ai également été étudiante pendant de nombreuses périodes où j’ai travaillé : j’ai fait un DU d’écologie humaine, un concours de documentaliste, et une licence de science de l’éducation. Tout cela fut formateur.

Vous avez été professeure au collège pendant plus de 30 ans. Cette expérience a-t-elle influencé votre façon d’appréhender vos missions politiques ?

Tout d’abord, j’étais boursière. Cela signifie que mes parents avaient de petits revenus. J’ai cherché après ma maîtrise à travailler pour finir ma licence d’anthropologie. On m’a proposé d’être maître auxiliaire en « éducation manuelle et technique ». De fil en aiguille, j’ai passé mes concours, et je suis devenue professeure de technologie au collège. Cela correspondait bien à ce que j’aimais faire, puisque j’étais assez motivée par l’informatique, et c’était justement la transition pour que cette matière enseigne l’usage de l’informatique et la robotique. D’une certaine façon, cela me donne une certaine expérience dans le domaine de l’éducation, impactant mon appréhension de mes missions politiques.

Pour autant, cela reste un sujet très complexe, qu’il est difficile de pleinement maîtriser. Ce n’est pas parce que vous avez été enseignant que ce domaine devient facile à traiter. Je travaille par exemple sur un texte en ce moment, intitulé « protéger les enseignants contre les agressions ». C’est un texte qui passe jeudi prochain [jeudi 6 mars]. À la suite de l’attentat contre Samuel Paty, il y a eu toute une mise en information par rapport aux agressions sur les enseignants et je me rends compte que je n’ai pas tout compris et tout maîtrisé en tant qu’enseignante. C’est avec le recul que je réalise beaucoup de choses. C’est très intéressant d’avoir été professeure, et de prendre maintenant ce vécu en compte. Tout cela me rappelle des souvenirs, des problèmes que j’ai pu rencontrer, que ce soit des tensions avec les élèves, ou bien avec les parents. Je me remémore aussi les questionnements : quelle résolution pour ces problèmes, comment protéger un enseignant… Finalement, je me rends compte aujourd’hui que le fait d’avoir été professeure pendant plus de 30 ans m’alimente dans ma réflexion sur les textes de loi.

Quelle relation avez-vous avec le droit dans votre activité parlementaire ?

Je n’avais pas tellement de relation avec cette matière. Je trouvais qu’il s’agissait d’une chose particulièrement complexe, s’adressant uniquement aux spécialistes. Pour autant, je vous rassure, on ne travaille pas seul : je me suis bien entourée. Ma collaboratrice à Paris, par exemple, est une personne qui manie extrêmement bien le droit, et qui arrive à traduire ce que je pense être nécessaire à implémenter en un langage juridique. C’est de cette façon que nous arrivons à monter plusieurs propositions de loi. Ne serait-ce que sur des sujets comme l’Éducation, je peux dire notamment qu’il faudrait penser des moyens de médiation afin d’éviter les agressions. Je transmets cette idée à ma collaboratrice, qui rédige un amendement que l’on pourra déposer pour communiquer cette idée, qui est issue d’un échange avec une association en commission. Un texte a pu aussi émettre l’idée dernièrement d’autoriser les chefs d’établissement et les Conseillers Principaux d’Éducation à procéder à la fouille des cartables. On a le droit de regarder ce qu’il y a dans le cartable, comme à un concert, mais l’on n’a pas le droit de faire sortir les affaires de l’élève, mis à part s’il existe un doute sur un enjeu de sécurité. Seul un officier de police judiciaire peut procéder à la fouille. Après consultation de ma collaboratrice, il est ressorti que cette proposition contenue dans le texte n’était pas légale. Nous avons alors convenu de la supprimer. Je trouvais passionnant de déterminer la légalité d’un texte, et de le faire évoluer par le biais des amendements. Tout cela demande des règles de rédaction et des connaissances que les élus n’ont pas forcément, d’où le besoin de s’entourer de personnes compétentes dans ce domaine.

Comment est votre vie politique en tant que sénatrice ?

C’est très séquencé. Je peux partir le lundi soir, en fonction de ce qu’il y a le mardi matin, que ce soit une réunion de groupe ou bien les questions au Gouvernement. Il ne faut pas confondre question au Gouvernement et question d’actualité. J’ai déposé il y a 15 jours une question au Gouvernement concernant l’artificialisation des sols avec la Ligne à Grande Vitesse (LGV), qui est au sud de Bordeaux. Dans ce cas-là, je suis obligée de partir le lundi soir, pour être sûre d’être au Sénat à 9h le lendemain matin. Autrement, j’y suis le mardi, le mercredi et le jeudi. Je consacre le lundi, le vendredi et le samedi à la Gironde et aux divers rendez-vous.

Comment votre rôle se différencie-t-il par rapport à celui d’un député ?

Nous ne sommes pas à la même échelle. Un député est élu au suffrage direct sur sa circonscription, qu’elle soit urbaine ou rurale. Un sénateur ne partage pas le même mode d’élection, on est élu par de grands électeurs, qui sont à peu près 3 500 en Gironde. Il y a déjà les 535 maires de toutes les communes du département, mais aussi les conseillers municipaux, départementaux, régionaux… Nous sommes redevables sur tous les territoires. Nous sommes souvent sollicités par les maires, plutôt des communes rurales.

J’ai été récemment contactée par exemple par rapport à la fermeture d’une classe sur une commune, qui est un enjeu d’une grande importance pour les maires de petites communes. Il nous est parfois demandé de les accompagner, d’envoyer des courriers à l’inspection académique afin de recevoir des explications, ou bien de les soutenir. Il peut également nous être demandé d’interpeller la ministre de l’Éducation nationale. Nous sommes des relais. Des associations nous sollicitent également. Tout cela se passe au niveau de la Gironde. Bien sûr, je suis contactée par les associations contre le projet de LGV, ou encore sur celui de plateforme M à Blanquefort, ou encore au nord du Médoc. Dans tous ces cas, j’interpelle le ministère, j’écris des courriers au préfet… Des associations me demandent aussi des rendez-vous pour m’expliquer qui ils sont, leurs activités. Cette semaine par exemple, l’Ordre des architectes m’a sollicitée pour me rencontrer mercredi, par rapport à un texte de loi sur les Architectes du Bâtiment de France dont l’échéance se situe dans 15 jours. Je rencontre aussi l’Ordre des comptables, des notaires, ou encore la Fédération Française du Bâtiment. Le nouveau procureur de la République m’a également contacté. Ce type de rendez-vous est très fréquent. Nous sommes aussi conviés en notre qualité de parlementaire, comme ce fut le cas à l’arrivée du nouveau préfet de Nouvelle-Aquitaine. Je suis également consultée par les associations lorsque des familles sont touchées par des Obligations de Quitter le Territoire Français (OQTF). En somme, c’est donc extrêmement varié, et cela forme un emploi du temps fourni, qui peut parfois déborder. Un dernier exemple : l’association Etu’Recup trie et met en vente à petit prix des vêtements d’occasion. Elle donnait le reste des dons qu’elle ne mettait pas en vente à une association de réinsertion qui achetait tout cela au poids. Néanmoins, cette dernière association a été dissoute, faute de moyens. Par conséquent, Etu’Recup et toutes les autres associations qui récupèrent des habits se retrouvent avec des tas entiers de vêtements, sans avoir un organisme à qui les donner. Ces habits menacent de se retrouver à la décharge, faute de solution. J’ai donc été sollicitée. J’ai écrit par courrier à l’élu en charge des déchets à la métropole, lui partageant le problème et la nécessité de le résoudre.

Vous entamez le dernier tiers de votre mandat d’élue. Quels sont vos prochains projets, et qu’avez-vous pu retirer de vos quatre premières années de mandat ?

Je retiens malheureusement que tout prend du temps. J’ai déposé plusieurs propositions de loi, sans qu’aucune n’ait vraiment abouti jusqu’à présent. Normalement, j’ai une proposition transpartisane, que j’ai déposée il y a maintenant trois mois. Il s’agit d’une proposition pour les artistes-auteurs. Cela comprend les auteurs de bandes dessinées, les scénaristes, les graphistes… Ils possèdent un statut à part et n’ont pas les mêmes droits. Ce qu’ils souhaiteraient, c’est qu’ils aient au minimum le même statut. Cette même proposition est aussi déposée par le Parti Communiste à l’Assemblée nationale. J’essaie de recueillir au niveau du Sénat le nombre de signatures me permettant d’affirmer l’aspect transpartisan de cette mesure, déjà confirmé à l’Assemblée Nationale. J’aimerais maintenant que ce texte soit mis à l’ordre du jour, ce qui n’est pas chose facile au vu du nombre d’idées que nous avons tous. De plus, j’ai déjà été rapporteuse d’un texte passé en niche écologiste sur les langues régionales pour le groupe, et j’ai eu une deuxième niche comme auteure pour une proposition de loi sur la précarité des étudiants, avec un Revenu Universel Étudiant, qui remplacerait les bourses. Il y a certains qui n’ont pas la chance d’être auteure d’un texte et rapporteuse d’un autre en un seul mandat. Il faut que ça tourne, et que chacun puisse proposer à son tour, et exercer des responsabilités. Pour autant, je ne perds pas espoir et je relance afin de passer lors d’une séquence transpartisane. C’est un processus très long car il faut que le texte soit voté de la même façon au Sénat et à l’Assemblée. C’est surtout ça qui m’a surprise : le temps lent. Quand j’étais élue, je pensais que ça allait plus vite. En somme, mon objectif serait que mon texte passe dans les deux Chambres.

Disposant d’une forte expérience au sein de l’Éducation nationale, et en tant que Vice-Présidente de la Commission de la Culture, de la Communication, de l’Éducation et du Sport, comment avez-vous réagi aux coupes budgétaires effectuées dans l’école publique ?

Les coupes budgétaires, ce sont des choses qui s’accumulent au fil des ans, ce n’est plus nouveau. Nous en subissons encore une, puisqu’il y a maintenant 52 millions en moins dans le budget de l’Éducation nationale, même si l’on ne supprime pas les 4 000 postes qui étaient censés être supprimés. Tout cela est vraiment un jeu de dupe, puisque ces 4 000 postes qui ne sont pas supprimés, il faut les re-budgétiser. Il sera décidé de diminuer les investissements sur d’autres domaines, tel que la vie de l’élève, notamment.

Le problème est que l’Éducation nationale publique est très impactée, bien plus que le privé. Cela commence à devenir un souci. Je me suis mobilisée pour avoir de la transparence sur l’enseignement privé, sur les contrôles effectués en matière administrative, juridique et pédagogique. Avant l’affaire Bétharram, qui a explosé il y a déjà plus d’un an, au mois de janvier l’an dernier, j’avais écrit à la rectrice de l’Académie pour lui communiquer les plaintes qui s’accumulaient à l’encontre de l’établissement. À l’époque, il y en avait déjà 90. J’ai donc écrit au mois de janvier dernier, alertée par un avocat que je connais, Maître Jean-François Blanco, qui a déposé la plainte pour l’élève ayant perdu une partie de son audition. La rectrice m’a répondu au mois de juillet qu’il n’y a pas de contrôle, mis à part pour les enseignants sur le plan pédagogique. Tout le reste serait donc sous le contrôle de l’enseignement catholique. Je lui ai également fait part de mes inquiétudes concernant l’aspect financier : les écoles privées ont 85% de finances publiques, ce qui est énorme, et s’ajoute à la participation des parents qui jouissent de niches fiscales avec les associations scolaires catholiques. Je trouve donc qu’il y a un déséquilibre, et j’ai demandé une mission de contrôle sur l’enseignement privé. À chaque fois que l’on porte ceci, on est dépeint comme étant contre l’existence même de ces écoles, ce qui est faux ; mais je souhaite qu’il y ait de la transparence dans tous les domaines. Je dis ça, car on se rend compte qu’il y a aujourd’hui un basculement du public vers le privé pour ceux qui en ont les moyens, parce qu’en définitive l’école publique est minée par un manque de financement, des classes surchargées et des problèmes de formations des enseignants. Une coupe budgétaire est donc encore une fois malvenue.

Quel est votre sentiment vis-à-vis de la diminution continue des fonds alloués aux collectivités territoriales ? Ce qui est beaucoup impacté pour l’instant reste les grandes communes. Les difficultés ne sont bien sûr pas les mêmes dans tous les départements, mais l’on détecte une baisse globale. La baisse la plus dramatique est celle du conseil départemental, ce qui se reflète sur l’ensemble du milieu associatif et culturel : 30% de subventions en moins, une aide à l’enfance totalement revue… Les missions sociales sont les plus touchées par cette baisse, et cela a un impact considérable.

Avez-vous un message à faire passer aux étudiants, souvent à la recherche de possibilités d’engagement politique à l’échelle locale ?

Je pense qu’il y a beaucoup de façons de s’engager lorsque l’on est jeune, lorsqu’on est étudiant. Tout cela dépend de notre sensibilité : cela peut passer par exemple par le bénévolat dans une association, mais aussi par la participation au sein d’une association telle que l’Épicerie Solidaire, dont une branche vient d’ouvrir sur Bordeaux I [Collège sciences et technologies, campus Talence]. Il existe également l’association Linkee, également présente sur Bordeaux I.

L’engagement associatif prend aussi une forme culturelle, sur le climat… Il faut se poser deux questions :
– Comment je peux être utile ?
– Comment est-ce que je peux m’impliquer en suivant mes goûts et mes convictions ?

On trouve toujours quelque chose ! Et si l’on ne trouve pas, on peut toujours créer : je voulais apprendre l’italien, mais je ne trouvais pas de structure adéquate. J’ai monté une association, « l’Italie autrement », qui m’a permis de m’instruire sur la langue en recrutant une professeure !