L’orphelin
Quand je joue au bord du lit La chair mêlée aux couleurs Ivre d'innocence On se soucie de moi Il y en a qui sanglotent Il y en a qui pleurent même Je vois à travers le bout de la flûte Un corps opalescent Et des draps pleins de candeur Je fais semblant de jouer Je fais des bâtiments maladroits Je murmure comme un pétale verglacé Une goutte de pluie inonde l'abreuvoir Je sens l'aspérité de la terre Hélas ! Que d'épitaphes autour.
Mohamed Gassara
Hantise
Le corps flotte curieusement Entre deux rayons de flamme Je me perds comme un oiseau urbain Dans les traquenards végétaux Saison endolorie, je me moque du mage Puis je lapide le cercueil cométaire Je m'en vais, je m'en vais avec mon envie Dans le pays aux oraisons battues Et autour du feu J'émiette le silence fétide et grivois Allez, quittez-moi, anémones aux reflets brisés Comme ce corps imbu de réminiscences Crucifié au citronnier sourd Dans l'attente de la tempête.
Mohamed Gassara
Face au destin
Aujourd’hui je parsème de l'or Sur les rizières exaltées Et sur la colline verte Je crie Bonheur Puis avec ma hache Je fauche les ivraies du passé Qui voltigent avec les miasmes du matin La passion m'étreint La gloire afflue de mes membres Je touche les nuages Pleuvant au-dessus de mes bras corrodés Lorsqu’un sourire de femme me lorgne Sous son chapeau de paille Ange brun dans le destin verdoyant Ensemence ma joie Dans les eaux diaphanes de l'être.
Mohamed Gassara
Creux
À travers les prostyles endommagés Et le fer forgé Je vois surgir un corps Perforé par un vortex d’amour Et des oiseaux portant le diadème de l'échec À peine dans la poussière Des pupilles vertes suturent ma présence Qui danse entre les haies azurées Lèvres collées à l'harmonica Exhalaisons florales sur l'instrument en agonie Émanant du vase ancestral Je coupe du coteau par jalousie Le rameau des iniquités abruptes Je dors, je rêve, j'étouffe Sur les méandres du feu.
Mohamed Gassara
Oracle décembral
J'exile mes désirs Au pays des avalanches Pour figer le lac des truculences J'effleure la chevelure de la science Sous les réverbères obscurs Forme de repentance L'odeur caviardée du mensonge Entaule ma jouissance Comme des hyènes allègres Je malmène la prophétie de l'ombre Près de l'âtre cassé Enfance calomnieuse des mages L'orgueil corrode mon flanc Je flambe d'échec Puanteur tombale Un baiser libidineux Sur mon chevet noir Un palimpseste épouvantablement dansant Une comptine glaciale Abattant ma nuit Rubis saccagé Le corps dérape la virtuosité du moment Les lustres alourdis de ténèbres Ô ambre incrusté.
Mohamed Gassara
Volcan et enfant
Dans un cyclone de lave Une horde d'enfants Balancent des pieds En louant le pommier suave Ils chantent l'aubade des ancêtres Dans l'espoir de trouver Une bribe de père Ou la bave sanguinolente d'un ami pareil Puis ils mangent des fraises Sur l’herbe bouillonnante de l’infini Je m'approche Pour éteindre les supplices D’un enfant barbotant Contre le visage illuminé de l’instant Le feu fond soudain le givre de mes illusions Et me rappelle les senteurs spongieuses d’orphelinat Je suis bien l'enfant mutilé Au torse de feu.
Mohamed Gassara
Présence
En sa présence J'ai ôté mes chaussures Et me suis penché sur le diadème isolé Glaner les gloires fortuites et malencontreuses J'ai mis ma main sur le cercueil drapé Pour mieux entendre les murmures du harem Sentir l'ardeur maléfique des eunuques Puis j'ai dit en catimini Réveille-toi ma pauvre Roxelane Je suis ton sultan perdu Mon vizir m'a trahi Et ma flotte m'a égaré dans les eaux comateuses Il ne me reste que ton souvenir Pour lequel j'ai buriné une marguerite Endiamantée de sueur printanière.
Mohamed Gassara
L’élégie de l’horizon
Des comètes éclatent l'horizon Les mésanges sacrées de l’avenir Une couleur malsaine les peint Jusqu’aux vitres de la hutte D’où on jette un regard augural Sur la longueur vorace de l’ombre Une ribambelle de chevaux Aux pattes farouchement nouées Portant sur le dos des enfants aux cœurs muets Et des cavalières blessées Ivres de mort et d'effroi Les chevaux ne finissent de fuir L’horizon baroudé Tous en direction anonyme Quelques vautours les aident À vider le capharnaüm sépulcral Lorsqu’au sein de la horde anéantie Déferle le fleuve infanticide de Gaza Mêlé à la chair éparpillée du cosmos Ô coupable horizon !
Mohamed Gassara
Air funeste
Comme si je portais Un baluchon de cœurs Un squelette rêveur Vers la morgue des rapaces éblouis J’avais l'habitude de frotter les yeux morts Ou de cueillir le duvet bleu de la nuit Sans verser de larmes ingénues Sur le dallage naphtalénique des heures Car tous ceux qui ont peur sont morts Les autres battent des cartes malencontreusement Au pied de l’aube Quelques mots âcres et désembués Et le cercueil se referme Sur les doigts livides de l’éternité.
Mohamed Gassara
Dauphins dans les ténèbres
Autour du cadavre cornu A travers les eaux tristes de l'ombre Jouent les dauphins aux veines d'or Frappant de leurs nageoires La torpeur chafouine du prisonnier La clameur jaillit des coins stellaires On jette des poissons dans l'air Aux dauphins affamés de souvenirs Transperçant le rêve moisi de l’éternité Le grincement étrique le corps fané La haine le laisse palpiter encore Sous une pluie cuprifère Où il ne reste que du néant dansant Sur l’épée ruisselante du tortionnaire.
Mohamed Gassara
Impuissance
Je me sens impuissant Face au souffle du crépuscule Aux pleurs de la cariatide Ténèbres désœuvrées Sur le marbre de l’oubli Et comètes saltimbanques Sur les orfraies paralysées Impuissant l’homme que je suis Pauvre créature mercuriale Au bord du précipice Jetant son appât Dans la bouche de l'horizon Un mollusque répercutant sur la plage L’hymne des rayons étouffés Toujours impuissant d’éclore Comme si mon cœur Battait dans une carapace marine.
Mohamed Gassara
Le rire gigantesque de la défaillance
Une caresse terreuse Sur le crâne effaré des cieux Le démon est réveillé Il ouvre la porte et m'offre une tasse de thé Pendant qu'il écoute la Pastorale Je glisse vers son bureau Les yeux sans projet Je vois à travers la lucarne L’horizon tempétueux de la vérité Et quelques doigts ocreux Jouer la rengaine du désir Je cherche dans les archives Une obscénité quelconque Un dieu en tenaille Je sors sans traces Mille écueils pulvérisant Le rire gigantesque de la défaillance.
Mohamed Gassara
Béquille au vent
Le vent fait trembler le balai Contre la vitre ombreuse J’entends la béquille de ma grand-mère Chanter par terre L’hymne du manque Elle chante dans les bois moroses Je l'entends depuis ma chambre Elle s'approche, frappe à la porte Le cœur se lève Je suis le chant Je cherche dans les ramures Je vois la béquille saigner Dans le vent amer Le rythme d'une plaie Dans les bois funèbres de la sieste.
Mohamed Gassara
Photographie
Un couple m'arrête Me demande une photographie Pour mémoriser un baiser Issu des îles volatiles de la chair J’accepte sans hésitation Moi cœur bat Curieux comme les eaux d’en bas Heurte des lèvres Fige la salive Le regard Photo prise On me remercie Je pense au goût du baiser Encastré en moi Ô ruineuse Héra !
Mohamed Gassara
Passion écervelée
L'écume gifle la triste proue La mandorle vertigineuse de ma poitrine Je déchaine mon canot Et j'oublie l'orfèvresse aveugle La nuit saigne sur mon oreille Et moi je lutte Comme le cavalier des savanes endormies Contre l'espoir divulgué Furieusement je creuse dans ton iris gelée Un abîme de tolérance Une ribambelle de papillons Pour laisser abattre des poissons Une ombre caillouteuse cadenasse mes lèvres Et dans ma pleine pâmoison Membres engourdis Je vois essaimer La passion curieuse ingérence du temps Vers les châteaux acariâtres de la nostalgie.
Mohamed Gassara
Les vêpres de l’ogre
La couleur de l'instant La danse des vitres me trahit Le soir mélancolique des ogres Je suis le fœtus écrasé du monstre Je n'attends pas une bicyclette Sur le perron de l'ombre Ni n'écoute l'histoire onirique des nains Je mâche les camélias de l'enfance rêvassée Je traverse les marécages voluptueux du temps Mon père m'attend là-bas Comme un prophète grincheux Pour me donner le relais de l'épouvante D'où naît la parole invertébrée des victoires Où peut-être de l'échec Car je suis un bon rêveur Au milieu de l’amphithéâtre On me lance des cordes Pour chasser le désir immortel d'être.
Mohamed Gassara
Le diable des oasis
Étant né Sous le palmier aux dattes de lave Sanglots oasiens Nudité ammoniaque Je brille comme un buste pharaonique Silence de trésor sous les pas des chameliers L'attente sous le soleil trépane mes augures La prophétesse se baigne dans le lac Quand un diable aux mille pansements me dit en cachette : Je trépiderai les feux de mon brasier pour toi Puis m'orne l'oreille d'un pavot Et quitte vers l'astre des impuretés.
Mohamed Gassara
Cendres fertiles
Corps des pudeurs fanées La fumée engourdit la mésange délivrée Mes poèmes des nymphes sans secours Dans le nid des cendres Je cherche une voix verte Sur l'autel des immolations Cithariste violée Sur la palissade étincelante Le feu des mélopées Tandis que derrière la maison J'entends des cris d’éclampsie Décendrer le destin lugubre de la justice.
Mohamed Gassara
Cosmos grabataire
Cœur Dans le marécage des incantations brumeuses Je jette la pierre du destin Celle des ablutions taciturnes Lors d'une rixe Dieu moud la comète Dans le mortier céleste Des ténèbres messianiques Trébuchant sur ma lèvre exaltée Quand une mère sur les pas d’une galaxie lépreuse Stérilisant l'abcès fallacieux des choses Quelques paroles à voix de strige Cherchant un lexicologue Pour froisser le sens juteux de l'existence Je meurs Le cœur embourbé Dans l'abysse veineux du cosmos.
Mohamed Gassara
Un âge de peur
Je fête la peur Sur les débris du courage Un âge filtré Entre jacinthes et rochers La peur des nerfs Calvaire aphasique des pensées Tout le monde en a peur Le moment est notre bourreau Notre bête-noire Quand elle vient donner son baiser Amuïr nos huettes Hameçonner nos présences Je fête la peur A chaque instant A chaque fois que je vois un enfant chuchoter à sa mère Ou un brin de bonheur paonner sur ma poitrine La vie n'est qu'un festin de peur Que l’on ne veuille ou pas Le moment viendra Et le sang découlera Sur le marbre de la hardiesse.
Mohamed Gassara
Gens de la fontaine
Dans l'eau de cette fontaine Où jaillissent des nymphes de raisins Sur le dallage capricieux Nostalgie aquatique Embruns d'eau de rose Faisant glisser la chair du zéphyr Quand sur les arabesques Entre les édens de l'ombre L’écho couronné de vide Façonne les arcades argileuses du passé Feuillage enamouré Baisant les moucharabiés Ô passion fileuse des obsessions.
Mohamed Gassara
Flottaisons nostalgiques
Le feu ourle l'aube indéfini La chair tellurique de l’infini Décapitation sylvestre Promesse des ancêtres L'œuvre parachevée de l'ennemi Hostilement peaufinée Sur les regrets des maîtres Éclatée comme une princesse Sous la férule de l'ombre La résurrection des oubliés Fustige les fleurs amadouées Les nés renaissent Pour baptiser la terre Et humer la chaleur astrale L'ambre saupoudré ici Sur les têtes dégarnies Est-ce enfin la désillusion Ce temps est affreusement exaltant Là et ici Dans ce microcosme assailli Par les flottaisons nostalgiques de l’être.
Mohamed Gassara
La farce
Je sonne et fuis Comme un enfant Je suis un enfant Je ralentis le pas Dans l'attente d’un coup de caillou Ou d'une imprécation furtive Car je veux brûler en enfer L’enfer est aussi ludique J’y jonglerai avec des braises Et jouerai à cache-cache Avec les damnés éternels J'attends et j’attends Je recule un peu Je sonne de nouveau La porte grince Et la mort pend Sur le pommier des imprécations.
Mohamed Gassara
La jeunesse
Je glisse vers la plage Portant sur mon dos Un cimetière de rosée Pour laver l'ossuaire de l'innocence Sur l'estran des vieilles sonatines Je laisse mes pieds éborgner L’œil de Neptune Le rêve des mollusques J'ouvre les catacombes du cœur La carcasse sacre la peur des mouettes Je ferme les yeux une fois pour toutes Quand la jeunesse frappe à ma cheville Une pléthore d'ossements marins Enjolive mon existence émétique Une dame croit ingénument à ma prophétie Veut que je fasse la mer un peuple Puis pousse un cri Quand l’écume lui dépose sa propriété.
Mohamed Gassara
Funérailles
Je marche triste Derrière le tombeau de la sorcière Comme une divinité en balade Elle est libre, je ne sais comment Les rêves d'hiver, elle les brûle Et les anges ne lui dictent rien Comment mourir ? Ses secrets sont chiffrés sur ma peau Et l'éternité est sa promesse Jadis dans les sapinières enneigées Comment mourir ? Menteurs ceux qui croient à l'au-delà La mort est le dernier éclair de la tempête Où va-t-elle donc Je pleure ma regrettée Quand je vois son dernier domicile Adieu, parfumeuse du temps Adieu, tueuse de mémoire !
Mohamed Gassara
Souvenir
Ruines sur les paupières du soir Idoles saccagées sur mon front Une noirceur pérégrine le long de ma torpeur Je frappe à la porte jaunie de l'enfance Et j'embrasse le petit enfant aux genoux de sang Le sang sec des aventures Ou des traumatismes La maman accourt avec un désinfectant Pour flamboyer la plaie Je tâte les murs tièdes de la demeure Mon bureau, ma place à la table, le lit de ma mère Un père qui n'est jamais Je sens les coups de cravache Comme de la pluie sur un visage en aluminium Les senteurs ténébreuses du jardin Et la voisine, cette geisha aux lèvres narquoises Je ferme les yeux Et j'avance d'un pas Je ne suis plus Ce n'est pas un rêve méridien Englouti par les pierres mouvantes du temps.
Mohamed Gassara
Dans le royaume des glaces
Il fait froid Là où mon père demeure La terre est depuis lors usurpatrice de rêves De bonheurs Le balcon aux basilics grisâtres La pensée horizon manqué Corps taraudé Mammouths transis Papa dans sa mine gelée Submergé de supplices De délires et d'ombres J'éteins les magmas du présent Je crève les abcès de neige Sur le suaire des aveux Papa ne revient plus pourtant Il aime désormais l'atmosphère Et moi Seul devant l'épitaphe ensoleillée Une main de cire Commémorant son absence.
Mohamed Gassara
Les pâtes carnivores
Tohu-bohu céleste, odoriférant Grand-mère sur la mésange mythique de la pénombre Ô chant des mémoires noyées Maman et ses acolytes modèlent la pâte Je sanctifie le berceau de marbre Tantôt je nourris un dieu à l'insu de mes frères Je sens le bruit des confiseries Le tambour fait danser les phalènes de l'aube Je flotte dans un océan de chaleur Qui inonde les corps défeutrés Une joie inconsciente embrume la cuisine Sur la porte de laquelle attend Un vieil homme pareil à une autruche effarée Les pâtes sont mangées La maison est vidée Il n'y reste que des ustensiles sombres Et un ressac d'amertume Sur la faïence ridicule de la solitude.
Mohamed Gassara
Gloires ravagées
Un berceau sous l’azur crépusculaire Débris de temple Des stèles qui ronflent Dans le froid de la chair Un dieu haillonneux Les doigts saignent La trace des papillons Marchant vers sa créature Pour déraciner sa vertu Une sérénade entre les lèvres Paupières belliqueuses Dans sa torpeur rocailleuse Je le prends entre mes bras Comme un canot dans l’horizon Je me fonds Je me réduis Au juste homme L’homme des ubiquités sclérosantes Puis je doute Suis-je l’homme des gloires ravagées !
Mohamed Gassara
Rustique
Une bergère emblave la terre Une chanson berbère Et mon cœur sur le gibet de l'horizon Chancelle dans une constellation de foin Je sens l'odeur moisie du paradis Et les ossements du fleuve Se heurter à mes pieds L’ombre du sang La joie d'agoniser Caresse l'écorce de la chair La chanson ne finit plus Et les blés ont beau pousser Sous ma pesanteur Je rêve Ou peut-être je meurs La mort est aussi un rêve Quoique long et indéfini La bergère, je l'ai aimée Elle me regarde au travers de son bournous Elle me reconnaît à priori Coupable réminiscence Ô voleur des passions endettées !
Mohamed Gassara
Dolence
Je fais souvent le fakir Tout le monde sait que je suis fakir Tantôt je marche sur des braises Tantôt je somnole sur des clous Les couleuvres lèchent mes espiègleries Et l’enfant méchant brise ma bulle opiacée Lorsqu’un ressac de verre éclate ma nudité L’écorce sinueuse de ma conscience Je sens un onirisme factuel cliver ma léthargie Disséminer ma fébrilité Sur les têtes conspiratrices de l’existence.
Mohamed Gassara