Par Andgel Badard–Abansés, L2 Droit
Chaque mois d’octobre, la France se pare de rose. Derrière cette couleur se cache une cause essentielle : la prévention et le dépistage du cancer du sein. Si les campagnes de sensibilisation, les marches solidaires et les rubans roses envahissent l’espace public, c’est pour rappeler qu’une femme sur huit sera confrontée à cette maladie au cours de sa vie, et qu’un dépistage régulier peut, dans bien des cas, lui sauver la vie.
Au-delà des statistiques et des slogans, ce mouvement repose sur des femmes et des hommes engagés. C’est le cas de Dominique Rousseau Lebourg, présidente du Comité de prévention et de dépistage du cancer de la Gironde, que nous avons eu la chance de rencontrer. Depuis plus de vingt ans, elle agit sur le terrain pour informer, rassurer et mobiliser, convaincue que la prévention est la clé pour réduire la mortalité liée au cancer du sein.
Tout commence en 2000 lorsqu’elle apprend être atteinte d’un cancer du sein. Après plus d’un an de traitements, elle termine sa chimiothérapie et sa radiothérapie au printemps 2001. Peu de temps après, elle tombe sur un reportage à la télévision présentant une association à Montpellier, agissant pour la prévention et le dépistage du cancer du sein. Elle se reconnaît dans cette démarche : « Je venais de finir mes traitements et je ne voulais surtout pas repartir vers la maladie. J’ai trouvé que c’était une façon positive d’en parler, d’aider sans revivre tout ça. ».
Dominique a toujours été bénévole, s’investir dans cette association était donc une évidence : « Quand j’ai été malade, je n’ai trouvé aucune information, personne ne m’avait parlé de prévention. Alors je me suis dit : voilà, c’est là que je peux agir. » Depuis, elle n’a jamais quitté ce terrain, et vingt ans plus tard, elle préside un comité actif dans toute la Gironde.
Pour elle, Octobre Rose n’est pas qu’un simple mois de sensibilisation, c’est un moment important pour rappeler à toutes les femmes l’importance du dépistage. « C’est une piqûre de rappel », dit-elle simplement. Mais elle reconnaît que la mobilisation ne devrait pas s’arrêter là. « Le dépistage, c’est toute l’année. Pas seulement en octobre. Mais c’est vrai que ce mois-là, ça remet le sujet sur la table. »
Elle observe d’ailleurs un changement ces dernières années : « Cette année, j’ai vu un doublement, voire un triplement des actions. Il y en a partout : des marches, des courses, des concerts. C’est incroyable. » Elle cite avec enthousiasme des villes de toute la France, grandes ou petites, où des milliers de personnes se sont réunies. « À Montpellier, Rennes, Quimper, même dans le centre de la France… Partout, il se passe quelque chose. Et ça, c’est une très bonne chose. »
Parmi les nombreuses initiatives qu’elle soutient, il y en a une qui lui tient particulièrement à cœur : le Challenge du Ruban Rose
qu’elle a créé il y a 20 ans. La première année, en 2005, ils étaient
250 participants. En 2025, ils en attendent 25 000 : « En vingt ans,
c’est incroyable. Tous les ans, on augmente. Et on est souvent obligés
de fermer les inscriptions avant la date finale. »
Cet évènement,
organisé sur les quais de Bordeaux, est devenu un moment fort du mois
d’octobre, permettant de récolter des fonds pour les hôpitaux du
département. L’argent sert à financer du matériel médical : « Cette
année, par exemple, on va remettre 100 000 euros au CHU de Bordeaux pour
participer à l’achat d’un séquenceur à haut débit. C’est un appareil de
dernière génération qui permet de mieux cibler les traitements. »
Dominique Rousseau Lebourg parle avec enthousiasme des nouvelles
technologies qui améliorent la détection et le traitement des cancers : «
On parle même de pouvoir détecter une récidive de cancer dans une
simple prise de sang. C’est très prometteur. » Pour elle, ces progrès
sont une source d’espoir, mais aussi une motivation supplémentaire à
poursuivre la mobilisation citoyenne : chaque don, chaque inscription à
une marche, chaque mammographie compte.
Cependant, malgré toutes ces actions, le constat reste inquiétant : en France, à peine une femme sur deux participe au dépistage organisé du cancer du sein. Pour Dominique Rousseau Lebourg, le premier frein, c’est la peur, « Les femmes ne veulent pas savoir. Elles ont peur qu’on leur trouve quelque chose. »
Et pourtant, le dépistage précoce est la clé. « Quand on se fait dépister, trois fois sur quatre, on ne trouve rien. Ou alors, c’est bénin. Et quand on trouve quelque chose d’un peu plus grave, c’est souvent à un stade précoce. Dans neuf cas sur dix, on guérit. »
Elle regrette que ce message passe encore difficilement, « on espérait atteindre 70 % de participation. On est à peine à 50 %. C’est dommage. Si on atteignait cet objectif, on sauverait entre 3 000 et 4 000 vies par an. »
Mais, la peur n’est pas la seule explication. Beaucoup de femmes manquent de temps ou donnent la priorité à leur famille, d’autres pensent que la mammographie fait trop mal. Dominique relativise : « Oui, ça peut faire mal, un quart d’heure. Mais après, vous êtes tranquille pendant deux ans. »
Lorsqu’elle parle aux femmes, Dominique Rousseau Lebourg se montre directe. « La peur n’évite pas le danger. » Elle raconte qu’à son propre diagnostic, ce qui l’a le plus marquée, ce n’était pas la peur du traitement, mais la peur de laisser ses enfants. « Je me disais : je ne verrai pas mes enfants grandir, je ne verrai peut-être jamais mes petits-enfants. » C’est ce message qu’elle transmet aujourd’hui aux femmes qu’elle rencontre : « Faites le pour vous, mais aussi pour votre famille. Vous ne pouvez pas imaginer le nombre de vies qu’on sauve avec un simple dépistage. »
Dominique Rousseau Lebourg insiste : une fois les traitements terminés, il ne faut pas laisser les femmes seules. « Quand on vous dit que c’est fini, que vous pouvez rentrer chez vous, c’est là que le plus dur commence. » Aujourd’hui, de nombreuses associations existent pour accompagner les patientes après un cancer : activités sportives, ateliers de remise en beauté, aide juridique ou retour à l’emploi, « Il y a de tout. Et c’est essentiel. »
Elle cite aussi les Dragon Boats du bassin d’Arcachon : des équipes de femmes ayant eu un cancer du sein qui pagaient ensemble sur des pirogues chinoises, une initiative de l’association « Les Elles du Bassin » : « C’est du sport, mais c’est aussi une façon de se reconstruire. » Pour elle, ces initiatives prouvent que la lutte contre le cancer va bien au-delà des soins médicaux : il s’agit de retrouver confiance, de recréer du lien, de se réapproprier son corps et sa vie.
Dominique Rousseau Lebourg garde en mémoire les nombreuses femmes croisées au fil des années. Certaines viennent la remercier, d’autres simplement partager leur histoire. « Souvent, une femme vient me voir en me disant : l’an dernier, je vous ai écoutée, j’ai fait ma mammographie, on a trouvé quelque chose, j’ai été soignée, et aujourd’hui je vais bien. »
Mais il y a aussi des moments plus douloureux. « Certaines jeunes femmes viennent courir avec la photo de leur mère ou de leur sœur. Elles me disent qu’elles sont parties il y a quelques mois. C’est très difficile. » Elle s’interrompt, puis ajoute calmement : « Si, en vingt ans, on a pu sauver une dizaine de femmes, alors notre mission est remplie. »
Avant de conclure, Dominique évoque un autre sujet qui lui tient à cœur : la prévention chez les plus jeunes : « Il y a aussi le cancer du col de l’utérus, et le vaccin contre le papillomavirus. Il faut en parler. »
Elle s’adresse directement aux étudiantes : « Parlez-en autour de vous. Encouragez vos mères, vos tantes, vos amies à se faire dépister. » Pour elle, la prévention n’est pas seulement un geste individuel, c’est un acte collectif, un réflexe à transmettre. « Faites-vous dépister. Vous sauvez des vies, vous sauvez votre vie. »
Pour finir, il nous semble important de rappeler que, même si la mammographie est conseillée pour les femmes âgées de 50 à 74 ans ou présentant des facteurs de risque particuliers, la prévention commence bien plus tôt. Les professionnels de santé recommandent aujourd’hui d’apprendre à pratiquer l’auto-palpation dès l’âge de 20 ans, un geste simple mais essentiel pour mieux connaître son corps et détecter toute anomalie le plus tôt possible. Cette vigilance précoce ne remplace pas le dépistage médical, mais elle le complète, en incitant chaque femme à être actrice de sa santé.
