Par Fanny Rigoni Bertrand, L3 sociologie
Dans la nuit du 31 août dernier, l’Afghanistan a connu le pire séisme de son histoire. Selon les autorités talibanes, plus de 2 200 personnes sont mortes sous les décombres et on compte environ 4 000 blessés pour le moment. C’est dans l’Hindou-Kouch, une chaîne de hautes montagnes qui prolonge l’Himalaya par l’ouest, que la terre a violemment tremblé. L’accès à cette zone montagneuse ravagée par les éboulements et les glissements de terrain est d’autant plus complexe à cause du contexte politique.
Les talibans, de nouveau au pouvoir depuis août 2021, ont instauré un régime autoritaire. Les Afghans, et encore plus les Afghanes, sont plongé·es dans un climat de terreur. Parmi les victimes du séisme, l’ONU annonce que les plus touchées sont les femmes et les filles. En effet, le régime taliban interdit aux hommes sauveteurs de les toucher et de les soigner. Actuellement, seulement 10% du personnel de soin est féminin.
Contexte historique – un retour au pouvoir des talibans
L’Afghanistan, pays majeur du Moyen-Orient, notamment voisin de l’Iran, du Pakistan et de la Chine, a connu dans son histoire contemporaine une succession de conflits et de guerres civiles avec l’intervention de puissances extérieures.
Avant les années 1970, l’Afghanistan a été un émirat, puis un royaume jusqu’en 1973, année du coup d’État non violent mené par Mohammad Daoud Khan qui s’auto-proclame président. En 1978, en pleine guerre froide, un nouveau coup d’État a lieu pendant ce qu’on appellera la révolution de Saur menée par le PDPA (le parti communiste afghan). De cette révolution, naît la République démocratique d’Afghanistan qui est alors communiste. Le pouvoir est très instable et les réformes communistes qui commencent à être mises en place ne font pas l’unanimité chez une partie des Afghans, très attachés à leurs traditions culturelles et religieuses. Des groupes de guérillas affiliés à des partis politiques s’insurgent contre le régime communiste.
Dès 1979, des troupes soviétiques interviennent dans le territoire afghan. Toutefois, les rebelles sont soutenus majoritairement par le Pakistan et par le golfe persique ainsi que par les États-Unis dont le but est d’affaiblir l’URSS. Les troupes soviétiques et le régime communiste afghan finissent par tomber en 1989 et divers groupes rebelles tentent de se partager le pouvoir. En 1992, l’Afghanistan devient un État islamique. Cependant, le partage du pouvoir n’est pas simple, les rivalités entre les partis entraînent une guerre civile. Une nouvelle force apparaît peu à peu : il s’agit des talibans. Alors que règne le chaos, ils offrent un cadre juridique par le biais de l’application de la charia (la loi islamique). Les talibans gagnent de plus en plus de terrain et arrivent dans la capitale en 1996 : ils prennent ainsi le pouvoir. Le pays est nommé Émirat islamique d’Afghanistan.
Face aux attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis débutent une intervention militaire en Afghanistan. Ils accusent le régime de complicité avec Al-Qaida : les talibans refusent de leur livrer Oussama Ben Laben, fondateur du groupe terroriste. En quelques semaines, les États-Unis et leurs alliés font tomber le régime taliban.
Toutefois, les talibans mènent toujours des attaques militaires et attentats-suicides, contre le régime démocratique mis en place et contre la coalition internationale présente dans le pays. Au fil des années, ils n’arrêtent pas de gagner du terrain. En 2011, Oussama Ben Laden est tué au Pakistan par un commando des forces spéciales américaines, ce qui entraîne un désengagement progressif des troupes américaines au sein de l’Afghanistan.
C’est le président américain Donald Trump qui, au cours du mois de février 2020, signe un accord avec les talibans qui délégitime le gouvernement de Kaboul et annonce le retrait des troupes américaines. C’est à l’été 2021, sous la présidence de Joe Biden, que la coalition internationale se retire du pays, permettant ainsi aux talibans de reconquérir l’Afghanistan.
Le 15 août 2021, les talibans prennent le pouvoir à Kaboul, la capitale du pays. Le président en fuite annonce la victoire des talibans et des milliers d’Afghans se ruent à l’aéroport de Kaboul, au même moment où les ambassades des Occidentaux fuient avec leurs ressortissants.
Un régime liberticide qui installe une ségrégation des genres
Depuis le retour des talibans au pouvoir, les femmes sont de plus en plus persécutées : elles subissent un enfermement physique et social. Les talibans ne cessent de multiplier les attaques contre leurs droits fondamentaux. Cette persécution liée au genre constitue un crime contre l’humanité.
La Cour pénale internationale a ainsi demandé des mandats d’arrêts contre des dirigeants talibans.
Aujourd’hui, tout leur est interdit. Les femmes afghanes sont chassées des écoles et du marché du travail. Elles ne peuvent plus s’exprimer, ni sortir seules, ni faire du vélo, ni se tenir dans la plupart des espaces publics, ni même chanter : elles doivent “voiler” leurs voix et leurs présences.
Les fenêtres des espaces domestiques ont même été interdites pour empêcher les femmes d’être visibles. Certaines lois mettent directement en péril leur santé. En effet, il est interdit pour un homme de soigner une femme. Or, les femmes, n’ayant plus accès à l’éducation, n’ont plus la possibilité de devenir soignantes. Ce “féminicide social”, qualifié par Éric Cheysson (cofondateur de Médecins du monde), tue à petit feu toutes les femmes afghanes.
La résistance réduite au silence
Jacques Follorou, journaliste au service International du Monde, a réussi à se rendre en Afghanistan et à rencontrer plusieurs femmes. Selon lui, la résistance a profondément changé : les manifestations se font rares, jusqu’à disparaître de Kaboul. Les femmes qui osent encore défier les talibans sont arrêtées, battues et menacées. La terreur a produit son effet.
Certaines militantes ont fui à l’étranger, poursuivant la lutte depuis les pays occidentaux. C’est le cas de Zarifa Ghafari, première femme maire d’une province parmi les plus conservatrices du pays, désormais exilée en Allemagne, où elle continue de porter la voix des Afghanes.
À Kaboul, des femmes sont encore porteuses de cette volonté d’émancipation. Les plus jeunes ont un discours d’une grande modernité, faisant preuve de courage et de force. Elles restent indépendantes, ne veulent pas d’un mari et continuent à travailler. Pour résister, des écoles clandestines ont ouvert.
Toutefois, il ne s’agit que d’une extrême minorité des femmes qui en ont les moyens. La grande majorité des Afghanes, elles, se retrouvent enfermées chez elles. Sur le plan psychologique, la situation est dramatique : dépression, suicides et toxicomanie se multiplient.
Un avenir incertain, des espoirs fragiles
L’avenir de l’Afghanistan demeure incertain, mais tout espoir d’amélioration des droits et libertés des femmes semble, pour l’instant, hors de portée. Dans l’épisode “Afghanistan : où en est la guerre des talibans contre les femmes”, Jacques Follorou évoque deux scénarios possibles de changement : une fracture interne au sein du mouvement taliban, ou une pression extérieure. Mais aucun ne paraît réaliste.
Les divergences idéologiques entre talibans ne remettent jamais en cause leur position commune sur la place des femmes. Leur unité reste leur force. Sur le plan international, le pays, isolé et sanctionné, n’est reconnu par aucun État. Les talibans tentent bien de renouer des liens, notamment sur le terrain de la lutte antiterroriste, et les pays européens, eux, privilégient une politique de vigilance face aux flux migratoires.
La situation des femmes en Afghanistan illustre un véritable “féminicide social”, où leurs droits et leur existence sont méthodiquement effacés. Sans pression internationale réelle ni changement interne, leur avenir demeure tragiquement fermé.
